Télétravail frontalier – une vision de long terme
Les frontaliers pourront continuer de télétravailler jusqu’au 31 décembre 2022. L’échéance de l’accord entre la Suisse et la France a été repoussée à nouveau. Mais pour combien de temps ?
La pandémie avait précipité l’accord. Depuis, d’autres bouleversements ébranlent nos économies, le fonctionnement de nos institutions et notre manière de travailler.
S’ajoutent les crises énergétiques et écologiques parmi les préoccupations premières des citoyens et des gouvernements. Ces nouvelles crises sont-elles à même d’imposer de nouvelles nécessités à la pratique du télétravail ?
Les accords piétinent, le télétravail avance
Les accords entre la Suisse et la France sur le télétravail frontalier ont été conclus en 2020 dans l’urgence de la crise pandémique du Covid-19.
L’accord a été reconduit plusieurs fois. Toutefois, la situation sanitaire du pays ne permet plus de justifier ce régime d’exception pour les télétravailleurs frontaliers.
Plus largement, c’est l’ensemble du marché du travail (notamment des services) qui s’est restructuré autour du travail à distance. Aujourd’hui, 34% des Suisses télétravaillent au moins une demi-journée par semaine. C’est 460’000 de plus qu’en 2020.
Télétravail frontalier : Cotisations et impôts
Entre la France et la Suisse, le dossier du télétravail frontalier bloque sur le sujet des cotisations sociales et de la fiscalité. Théoriquement, lorsque le travailleur frontalier travaille depuis chez lui en France, ses cotisations sociales et ses impôts devraient être payés à la France.
Les salaires sont élevés en Suisse. Ces cotisations et ces impôts sont donc une manne bien nécessaire à l’État français. Avec une dette publique qui dépasse les 113% du PIB, on peut comprendre la réticence de la France à être flexible sur ce sujet.
Impôt des frontaliers, poule aux œufs d’or ?
Et pourtant, les frontaliers vivent et consomment en France. Il ne faut donc pas se limiter aux recettes fiscales directes (les impôts des particuliers). En effet, la TVA (fiscalité indirecte) représente une manne deux fois plus importante que l’impôt direct. Pour 2023 la TVA collectera 167 Milliards d’Euro et l’impôt sur le revenu 86 Milliards d’Euro. Lorsque l’on prend en compte l’économie transfrontalière dans son ensemble, la vraie poule aux œufs d’or n’est pas l’imposition des frontaliers. La poule aux œufs d’or c’est la consommation en France des frontaliers !
C’est d’autant plus vrai que de nombreux Cantons n’imposent pas les frontaliers. Les frontaliers sont imposés par la France. Les autres cantons qui imposent les frontaliers à la source font une rétrocession d’impôt à la France.
Tuer la poule aux œufs d’or ?
Depuis un an, l’incertitude sur les renouvellements des accords sur le télétravail frontalier a amené des entreprises suisses à interdire purement et simplement le télétravail pour ses frontaliers. Enregistrer, vérifier et reporter les heures de travail en Suisse et en France de chaque employé représente une charge administrative considérable. Collecter les charges sociales françaises et dans certains cantons, collecter l’impôt français est impensable pour des entreprises suisses.
Avec des réglementations qui deviennent plus dures, des surfaces de bureau à réserver aux frontaliers, des employeurs suisses pourraient être plus sévères à l’embauche de frontaliers. La réglementation sur la confidentialité des données a déjà amené les banques privées à interdire des postes aux frontaliers.
Cette évolution des employeurs viendrait amplifier le changement de résidence des frontaliers de la France vers la Suisse. Cette tendance est identifiée dans le Forum Résidents et Frontaliers. De nombreux frontaliers pourraient déménager en Suisse pour bénéficier des règles pour les résidents. A force d’imposer des contraintes réglementaires, la France risque de perdre sa poule aux œufs d’or.
Moins de sobriété, moins de TVA ?
Le gouvernement français a récemment souligné l’importance du télétravail. En effet, son plan de sobriété énergétique met en évidence l’apport fondamental du travail à distance afin d’économiser carburant et chauffage cet hiver.
Avec des fonctionnaires du Ministère de l’économie et des Finances obnubilés sur des gains à court terme, le gouvernement français risque de rater l’opportunité d’avoir “en même temps” plus de sobriété et plus de TVA.
Télétravail frontalier – vers un accord pérenne
La Suisse et la France ont jusqu’au 31 décembre pour aboutir à un accord pérenne sur le télétravail frontalier. Notons que les deux volets de négociations ne se jouent pas au même niveau. Le volet fiscal est une négociation directe entre la Suisse et la France, alors que le volet social se négocie au niveau de l’Union européenne. Dans les négociations, c’est le point des rétrocessions de la Suisse envers la France qui pose problème. Un point de blocage que les deux États vont bien devoir dépasser s’ils veulent parvenir à un accord.
Genève vient complexifier les négociations
Comme cela a été le cas par le passé, allons-nous encore voir l’État français rater le coche sur un sujet qui concerne les frontaliers ?
Le remplacement des assurances maladie privées par la CMU n’avait pas été une réussite. Contre l’avis d’experts qu’elle avait mandaté, la ministre Marisol Touraine avait tenté d’imposer la CMU aux frontaliers. Les salariés frontaliers aux revenus élevés étaient censés contribuer à rééquilibrer le déficit de la CMU. Aujourd’hui, la CMU est évitée par les contributeurs visés.
Espérons que l’ensemble de ces considérations ouvrent la voie à des accords sur le télétravail qui concilient les intérêts de long terme de chacune des parties : les frontaliers, la France et la Suisse. Les frontaliers attendent ces décisions avec la plus grande attention.
Notons également que le cas de Genève vient complexifier la situation. D’une part, il impose les frontaliers à la source. D’autre part, c’est le Canton qui accueille le plus de frontaliers français. Le scénario d’un retour aux anciennes règles et d’un accord spécifique avec Genève est également envisageable.
De nouvelles nécessités pour le télétravail frontalier
La pandémie ne justifie plus la mesure d’exception des télétravailleurs frontaliers. Pour autant, les atouts du télétravail ne se limitent pas à la santé publique. Dans un débat houleux qui cherche à inscrire des règles de long-terme, il est important de comprendre les bienfaits du télétravail vis à vis des autres crises que nous traversons.
Les crises énergétique et écologique ont besoin de mesures directement implémentables. Ces défis sont-ils à même de peser dans les pourparlers et encourager le télétravail des frontaliers ?
Télétravail et écologie – un bilan positif
Moins de trajets en voiture
Selon l’Office fédéral de l’environnement (OFEV) suisse, le fait qu’un tiers des actifs suisses travaillent à distance permet d’économiser l’émission de CO2 d’une ville de 50’000 habitants.
Et pour cause, le télétravail diminue drastiquement les trajets en voiture des pendulaires. Or, la voiture est le moyen de transport avec la plus grande empreinte carbone. À titre d’exemple, le trajet en train d’un individu émet en moyenne 200 fois moins de CO2 qu’une voiture.
Autre point positif, la diminution des trajets réduit le nombre de voitures sur les routes. Il y a donc moins d’embouteillage. Or, les bouchons sont une source importante de pollution. Démarrer et freiner fait diffuser le pot d’échappement sans arrêt. On estime que dans un embouteillage, les voitures produisent 16x plus de CO2 qu’en trafic fluide.
Moins de personnel et moins de bureaux
En instaurant des tournus, le télétravail permet également de diminuer le personnel présent dans les bureaux. De nombreuses entreprises ont réduit leur surface occupée. Elles ont condamné des étages de leurs immeubles ou arrêté des baux à loyer. C’est un point important dans le bilan écologique du travail à distance.
Tout d’abord, avec moins de monde à l’intérieur, les bureaux utilisent moins de ressources. Les consommations d’électricité, d’éclairage, d’eau sont limitées. Bien entendu, une part de cette consommation est redirigée sur les ménages. Les télétravailleurs vont consommer à la maison une partie de ce qu’ils ne consomment pas au bureau.
Et pourtant, le bilan reste positif. En effet, l’électricité consommée du poste de travail est identique au bureau et à la maison. L’éclairage autour du poste de travail est moindre à la maison qu’au bureau. Télétravail ou pas, la maison devra être chauffée mais pas le bureau.
Ensuite et surtout, si moins de bureaux sont utilisés, cela réduit le besoin de constructions futures. En réduisant le personnel présent, les entreprises sont incitées à réduire la future surface de leurs bureaux ou à mutualiser l’espace pour réaliser des économies.
Matériel électronique et métaux rares
On entend parfois dire que le télétravail multiplie les achats de matériel informatique. D’un point de vue écologique, il est tout à fait logique de minimiser l’achat de matériel électronique. L’extraction des matériaux nécessaires aux composants est néfaste pour l’environnement.
Cependant, l’OFEV nuance cette affirmation en rappelant que la plupart des ménages possédaient déjà les outils informatiques nécessaires. En urgence, la crise du Covid a obligé des entreprises à permettre aux employés de se connecter au réseau informatique avec leur ordinateur personnel. L’approche “Bring Your Own Device” (BYOD) à été plébiscitée par les Directions Informatiques car elles ne pouvaient pas acheminer des ordinateurs à leurs employés confinés.
Plastique et gaspillage alimentaire
Le plastique et le gaspillage alimentaire sont également des points à prendre en compte dans le bilan environnemental du télétravail.
Éviter les plastiques est beaucoup plus simple lorsque l’on travaille depuis chez soi. L’achat de nourriture à l’extérieur s’accompagne souvent d’emballages plastiques par mesure d’hygiène.
À contrario, les études montrent que le gaspillage alimentaire est plus important lorsque l’on cuisine chez soi. Plus de gaspillage mais moins de plastique. Il reste donc à trouver des manières pour diminuer le gaspillage alimentaire afin que le bilan soit largement positif.
Télétravail et électricité – un faux procès
Bien entendu, la consommation électrique des ménages augmente lors du télétravail. Les visioconférences et le streaming consomment beaucoup d’énergie et pèsent assurément sur le bilan énergétique du télétravail.
Il faut pourtant rappeler que ces chiffres sont sans commune mesure avec le bilan CO2 désastreux des trajets en voiture.
Par ailleurs, le nombre de voitures électriques ne cesse d’augmenter. Cette transition de la voiture à essence vers la voiture électrique va très fortement augmenter la demande en électricité. Ce changement sociétal se produit au moment même où le risque de pénurie électrique augmente comme jamais. En réduisant les trajets en véhicules électriques, le télétravail permet également de réduire la consommation d’électricité.
Règles à long terme pour le télétravail
La sortie de crise sanitaire n’a pas signé la fin du travail à distance. Assurément, le télétravail est là pour rester. Ce mode de travail n’est pas uniquement une solution lors des crises sanitaires. C’est un des outils pour résoudre les défis énergétiques et climatiques. Pour cela, il convient d’inscrire les règles du télétravail sur des bases solides avec une vision de long terme.
Pour stabiliser la pratique du télétravail à long terme, trois facteurs sont à prendre en compte.
- L’intérêt de l’employé
- L’intérêt de l’employeur
- La position de l’État avec sa réglementation fiscale et sociale
Du côté de l’employé, nous avons abordé le télétravail dans un contexte bouleversé par la “grande démission”, le succès du statut d’indépendant, la tendance au retrait de la génération Z.
Pour l’entreprise, proposer de la flexibilité (temps partiel, télétravail…) est maintenant une nécessité pour attirer les candidats.
Les États ont adapté leurs réglementations pour permettre le télétravail. C’est maintenant la zone grise des accords transnationaux qu’il s’agit de formaliser.
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